Pratiques funéraires et sociétés du domaine pyrénéen et de ses marges, de la Garonne à l’Èbre (XIIe-IVe s. av. J.-C.)
Stéphanie Adroit (Doctorante, Université de Toulouse - Jean Jaurès, TRACES-UMR 5608)
Thèse soutenue en décembre 2015 à l’Université Toulouse - Jean Jaurès, sous la direction de P.-Y. MILCENT (Université de Toulouse-Jean-Jaurès, TRACES - UMR 5608) et P. MORET (CNRS, TRACES - UMR 5608)
Mots-clés : Funéraire, Nécropole, Crémation, Bronze final, Premier âge du Fer, Nord Espagne, Sud-Ouest de la France.
La genèse de ce sujet de thèse découle du constat dressé par plusieurs protohistoriens – sur la base de la circulation et de la consommation des objets (ex. : les accessoires vestimentaires et les parures corporelles, les armes) – des interactions fortes qui existaient entre les deux versants du massif des Pyrénées à l’âge du Fer. Cette constatation m’a donc amené à m’interroger sur les liens éventuels existants, au-delà des objets, dans les gestes et les comportements funéraires des communautés situées entre Garonne et Èbre. Dans la littérature archéologique, les pratiques funéraires sont souvent utilisées dans la caractérisation des groupes culturels archéologiques, sur le principe quasi universel selon lequel chaque population utilise face à la « Mort » un ensemble de pratiques et de gestes qui lui est propre. Le domaine pyrénéen et ses marges s’inscrivent dans un contexte marqué par l’apparition, entre le Bronze final II et le Bronze final IIIa, puis la généralisation rapide de funérailles caractérisées par la crémation du corps des défunts sur un bûcher. Dans la zone considérée, les pratiques funéraires (l’usage de la crémation du défunt par opposition à celle de l’inhumation, l’antagonisme supposé des structures en fosse et des tumulus) constituaient il y a encore quelques décennies un des arguments privilégiés des théories diffusionnistes qui ont longtemps animé les débats sur le développement des cultures européennes de l’âge du Fer. Ce thème de recherche qui s’inscrit au cœur des problématiques de la Protohistoire européenne occidentale n’a jusqu’à présent jamais fait l’objet d’un travail de synthèse, alors que la quantité et la qualité des données disponibles - souvent mises en valeur par d’excellentes publications monographiques - s’y prêtent.
Pour élaborer une grille d’analyse des nécropoles à crémation, je me suis d’abord inspirée des travaux menés par J.-M. Luce sur les pratiques funéraires de l’Âge du Fer en Grèce (Luce, 2007). Il tente de montrer qu’à des époques précises, dans certaines zones de la Grèce, les pratiques funéraires ont été des géosymboles dans le sens dans lequel l’entendait J. Bonnemaison. Il explique que pour une étape chronologique donnée, ce n’est pas la présence de tel ou tel trait funéraire qui définit une nécropole, mais leur combinaison dans un processus ; c’est ce qu’il appelle la « séquence funéraire ». Cette combinaison peut être spécifique à la communauté qui la met en place progressivement dans le temps, en suivant souvent des phases distinctes (Ibid., p. 44). Bien évidemment, une « séquence funéraire » peut caractériser une ou plusieurs nécropoles et ainsi correspondre, soit à un espace homogène géographiquement, soit discontinu. Selon J.-M. Luce le mobilier funéraire déposé dans une tombe grecque se rapporte d’abord à l’identité personnelle du défunt (âge au décès, genre, statut social, activités exercées au cours de sa vie) alors que les modes de traitement du cadavre, l’architecture funéraire qui en découle et la gestion des espaces sépulcraux répondent à un nombre d’options plus limité et sont des éléments porteurs de pratiques partagées par l’ensemble de la communauté qui les admet comme normales ou non (Ibid., p. 40-42). A contrario, le mobilier est plutôt choisi pour l’individu ; de fait, il comporte souvent des objets personnels qui appartenaient au défunt. Néanmoins, dans les contextes chronoculturels étudiés, nous pensons qu’il est possible aussi d’extraire des informations à partir du mobilier d’accompagnement qui peuvent révéler des phénomènes culturels récurrents ainsi que des changements à l’échelle de la communauté dans la composition des dépôts au fil du temps : quantité de vases déposés dans les tombes, répartition quantitative des différentes catégories fonctionnelles, position du mobilier d’accompagnement, traces de chauffe sur le mobilier métallique indiquant un éventuel passage sur le bûcher funéraire avec le défunt, etc. En effet, la présence dans les tombes de certaines catégories fonctionnelles pourrait correspondre à un espace géographique précis et donc obéir à des contraintes culturelles. De même que la quantité et la forme des vases déposés dans les tombes peuvent découler de normes très différentes concernant les habitudes de consommation alimentaire. Par ailleurs, il ne faut pas exclure le fait que l’identité personnelle du défunt puisse être symbolisée dans d’autres champs que celui du strict mobilier funéraire, comme dans le choix du rite, le type de tombe ou à travers d’autres éléments architecturaux (ex. : stèle anthropomorphe). Les recherches de L. Baray sur les pratiques funéraires du Bassin parisien défendent également l’idée que les pratiques funéraires sont porteuses d’une « identité collective » (Baray, 2003). D’après lui, les pratiques funéraires expriment des choix qui sont fixés par la communauté qui les admet comme normales ou non, c’est-à-dire « qu’à travers les pratiques funéraires, les sociétés affichent une partie de leur système social et culturel (l’uniformité) et l’individu ‟exprime ses particularités (différenciations), sur le mode de la variation, qui seule autorise une vision dynamique de l’évolution historique » (Ibid., p. 345). D’après lui, les pratiques funéraires uniformes ou dont la forme varie dans un registre limité expriment les représentations collectives. Au contraire, les pratiques funéraires dont la forme est liée à des contingences variées symbolisent l’identité individuelle.
L’objectif majeur de ce mémoire de thèse consiste à comparer, à partir d’une large gamme de critères précis, mais pas immodérés (depuis la crémation ou l’inhumation du corps du défunt en passant par la mise en terre jusqu’aux rites funèbres ou commémoratifs sur la tombe) les séquences funéraires de plusieurs nécropoles/tumulus pour une étape chronologique donnée. De surcroît, en raison de la quantité des données disponibles, mais également de leur qualité très disparate, notre travail ne prétend pas à l’exhaustivité. Il prend appui sur une sélection raisonnée de sites répartis tant soit peu de manière homogène dans l’espace et dans le temps. Suite à l’établissement de la « séquence funéraire » spécifique à un site pour une étape chronologique concrète, il nous faut nous interroger sur cette spécificité. Est-ce que la « séquence funéraire » est partagée, c’est-à-dire est-elle commune à d’autres sites ? Dans l’affirmative, quelle est la répartition géographique de ces sites qui présentent une « séquence funéraire » identique ? Les séquences communes à plusieurs nécropoles apparaissent-elles dans un espace homogène et restreint, ou bien sur des surfaces importantes et discontinues, car partagées par des nécropoles présentant des séquences autres ? La répartition géographique de ces séquences est-elle conditionnée par des déterminismes d’ordre géographique ? Par là même, il est intéressant de s’interroger sur cette spécificité d’un point de vue chronologique. Ces « séquences funéraires » se sont-elles maintenues ou se sont-elles modifiées dans le temps ? L’étude sur la longue durée permet de saisir justement les dynamiques funéraires, les moments de rupture, de transition. In fine, l’objectif principal de cette étude comparative, de part et d’autre des Pyrénées, est de réaliser une cartographie des séquences funéraires du Bronze final et du premier âge du Fer afin d’observer les éléments qui rapprochent ou au contraire distinguent les communautés du nord de la péninsule Ibérique et du sud-ouest de la France. Dans un second temps, on pourra essaiment comparer ces cartes à d’autres cartes de répartition afin de s’interroger sur les liens et les discordances avec d’autres traits des cultures matérielles supposés entrer dans la définition des groupes et des faciès culturels précis.
Bibliographie :
Baray L., Pratiques funéraires et sociétés de l’âge du Fer dans le bassin parisien (fin du VIIe s. - troisième quart du IIe s. avant J.-C.), Gallia, suppl. 56, (Paris, 2003).
Luce J.-M., Géographie funéraire et identités ethniques à l’Âge du Fer en Grèce. In : Luce J.-M. (dir.), Identités ethniques dans le monde Grec antique, Actes du colloque international du CRATA, Toulouse, 2006, Pallas, 73, 2007, p. 39-51.