Étude typologique, technologique et contextuelle du dépôt de l’âge du Bronze de Loyettes (Ain)
Fabien DELRIEU, coordinateur du projet, DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, UMR 5138, Arar, Lyon
PCR (Projet collectif de recherche), DRAC Auvergne-Rhône-Alpes
http://www.archeometrie.mom.fr/recherche-et-activites/programmes-cofinances/pcr-loyettes
Participants : Muriel Mélin UMR 6566, CReAAH, Rennes ; Henri Gandois, UMR 8215, Trajectoires, Paris ; Cécile Le Carlier de Veslud, UMR 6566, CReAAH, Rennes ; Mareva Gabillot, UMR 6298 ArTeHiS, Dijon ; Florence Cattin, UMR 6298 ArTeHiS, Dijon ; Robert Royer, SRA Rhône-Alpes, UMR 5140, Lyon ; Véronique Bardel, dessinatrice indépendante ; Mathieu Tondut, UMR 6298 ArTeHiS, Dijon ; Fabrice Monna, UMR 6298 ArTeHiS, Dijon ; Josef Wilczek, UMR 6298, ArTeHiS, Dijon et Ústav archeologie a muzeologie, Masarykova Univerzita, Brno (Česká republika).
Mots-clefs : Bronze moyen, métallurgie, cuivre, dépôt, typologie, chronologie, analyses physico-chimiques, morphométrie
Le dépôt a été découvert en 2003 par les propriétaires d’une parcelle agricole lors du dessouchage d’une haie arbustive. Ce n’est qu’en 2012, après avoir pris conscience de la valeur patrimoniale et scientifique de l’ensemble, qu’ils ont pris soin de contacter le SRA Rhône-Alpes afin de déclarer leur découverte. Ce projet collectif de recherche se propose donc de travailler dans une cadre pluridisciplinaire afin d’étudier et de caractériser ce dépôt dont l’attribution chronologique peut être située entre le Bronze A2 et le Bronze D. Les analyses portent sur la typochronologie, la technologie de fabrication, la chimie élémentaire et isotopique, la métallographie ainsi que la morphométrie. Des investigations de terrain à l’emplacement même de la découverte sont également envisagées.
Cet ensemble métallique comprend 69 haches qui semblent, aux dires des découvreurs, correspondre à un dépôt unique. La particularité de cet ensemble réside dans le fait que l’intégralité des haches a été déposée peu de temps après avoir été coulée. En effet aucune d’entre elles n’a été ébarbée ou martelée. Plusieurs exemplaires possèdent encore une masselotte à l’extrémité du talon. Plusieurs autres masselottes désolidarisées de leur hache d’origine ont également été retrouvées associées au dépôt.
L’ensemble de ces haches correspond au type des haches à rebords qui couvre chronologiquement les Bronze A2 et B ; il faut cependant signaler la présence d’un unique exemplaire de hache à talon naissant, type généralement attribué au Bronze C.
L’absence de finitions et le peu de soin porté à l’alignement des moules qui sont parfois décalés d’une quinzaine de millimètres permettent de préciser l’appartenance chrono-culturelle de cet ensemble. En effet, le dépôt de Loyettes connaît pour l’heure un équivalent en Rhône-Alpes avec le dépôt de Ternay (Rhône) qui comporte 58 haches à rebords également déposées brutes de coulée et dont les moules étaient décalés lors de la coulée (Bocquet 1969). D’autres exemplaires de ce type sont également documentés plus au sud dans les dépôts de Montfrin et Théziers dans le Gard (respectivement 25 et 3 exemplaires) et du « Mas d’Andos » à Villeneuve-les-Maguelone dans l’Hérault (4 exemplaires). Il faut également signaler l’exemplaire unique découvert dans le Cantal à Beaulieu « Etang de Mialet » sans qu’il soit possible de déterminer s’il appartenait ou non à un dépôt constitué (Chardenoux 1981). Ces dépôts sont exclusivement composés de haches à rebords brutes de coulées présentant de manière récurrente un décalage des moules lors de la coulée. Ces trois dépôts méridionaux sont généralement attribués à la fin du Bronze ancien (Bronze A2) eu égard à la chrono-typologie des haches à petits rebords (Gutherz 1995 et Gasco 2004).
Un seul dépôt en France permet pour l’heure de préciser la chronologie de ces productions bien spécifiques. Il s’agit du dépôt de Granges-sous-Grignon en Côte-d’Or (Nicolardot et Verger 1998). Dans cet assemblage, 12 haches de ce type sont associées à plusieurs objets métalliques caractéristiques d’une phase avancée du Bronze C (haches type « Grenchen » ou « Porcieu Amblagnieu »).
Cette dichotomie chronologique entre des haches d’un chrono-type précoce (Bronze A2 ou B) et des éléments métalliques plus récents (Bronze C) soulève de nombreuses interrogations. Un élément doit cependant être pris en compte. En effet, des analyses métallographiques effectuées sur plusieurs exemplaires des dépôts de Ternay, Théziers et Granges-sous-Grignon ont démontré que l’ensemble des haches de ce type est exclusivement constitué de cuivre avec une très faible teneur en étain (Nicolardot et Verger 1998). Cette particularité est remarquable pour une phase chronologique où le « vrai » bronze est la norme et permet d’envisager une fonction de lingot. L’aspect fruste et peu soigné des haches de ces différents dépôts semble leur interdire une utilisation fonctionnelle et plaide plutôt dans le sens de réserves de métal. Dans ce cas, ces lingots auraient été coulés à l’aide de moules archaïques correspondants à des productions dépassées, d’un point de vue utilitaire et esthétique, au moment de leur coulée.
Des dépôts de haches à petits rebords brutes de coulées et à moules décalés existent également en périphérie de l’aire Alpine. Leur répartition va de la Slovaquie au nord de l’Italie en passant par le sud de l’Allemagne et l’Autriche. Il est ainsi possible de citer le cas, parmi les mieux documentés, du dépôt de Pieve Albignola dans le nord de l’Italie qui comporte 37 haches (Pearce 2007). Ces dépôts sont composés de haches de type « Niederosterwitz » (Vital 2004), du nom du dépôt éponyme en Autriche, que les auteurs allemands interprètent généralement comme des lingots. En l’absence de mobilier associé plus récent, ces dépôts sont généralement attribués au Bronze A (généralement A2).
L’assemblage de Loyettes prend donc place dans un corpus de dépôts européens, relativement étoffé, et dont l’aire de répartition correspond globalement à la zone circum alpine. Les haches composant ces dépôts sont généralement associées à la fonction de lingot comme l’atteste leur composition qui correspond à un cuivre presque pur. Cette interprétation fonctionnelle est pour l’heure la plus rependue en Europe. L’attribution chronologique des « hache-lingots » reste cependant difficile à déterminer. Elle est généralement associée au Bronze A en Europe centrale, Italie et dans le sud de la France où aucun autre élément métallique n’est associé à ces assemblages.
Le dépôt de Granges-sous-Grigon, dont la fiabilité est au-dessous de tout soupçon, permet clairement d’attribuer tout ou partie de ces productions au Bronze C. La présence d’une hache à talon naissant dans le dépôt de Loyettes semble confirmer cette attribution chronologique et remet probablement en cause la chronologie de ces assemblages à l’échelle de l’Europe centrale et méridionale.
Le projet collectif de recherche est composé d’une équipe pluridisciplinaire dont la composition permettra d’étudier le dépôt d’un point typologique, technologique et contextuel. En effet, la particularité de cet ensemble réside dans le fait que la localisation précise de sa découverte est connue et permet donc d’envisager des investigations de terrain qui permettront de préciser les modalités de déposition ainsi que le contexte paléo-environnemental et humain dans lequel cet acte a eu lieu. Ces éléments pourraient permettre de renouveler la problématique visant à préciser la fonction de ces accumulations d’objets en alliage cuivreux. Dans ce programme sera également intégré le dépôt de Ternay (69) qui présente une parfaite correspondance typologique avec celui de Loyettes et qui n’a jamais fait l’objet d’une étude de ce type. L’intégration du dépôt de Ternay à cette étude est aussi due à l’observation de stigmates de coulée identiques entre les deux dépôts qui peuvent permettre d’envisager l’utilisation du ou des mêmes moules lors de la coulée des haches composant ces deux ensembles métalliques.
BOCQUET (Aimé), Catalogue des collections préhistoriques et protohistoriques, musée Dauphinois, 1969.
CHARDENOUX (Marie-Bernadette), Haches de cuivre et de bronze et outils apparentés du sud-est de la France, Paris, 1981.
GASCO (Jean), Les composantes de l’âge du bronze, de la fin du Chalcolithique a l’âge du bronze ancien en France méridionale, CYPSELA, 2004, no15, pp. 39-72.
GUTHERZ (Xavier), Quelques réflexions sur l’origine et la chronologie du Bronze ancien dans le sud-est de la France, in L’Homme méditerranéen, Mélanges offerts à G. Camps, LAPMO : publications de l’Université, Aix-en-Provence, pp. 375-401.
NICOLARDOT (Jean-Pierre) et VERGER (Stéphane),Le dépôt de Granges-sous-Grignon (Commune de Grignon, Côte-d’Or), in MORDANT (Claude), PERNOT (Michel et RYCHNER (Valentin), L’atelier du bronzier en Europe du XXe au VIIIe siècle avant notre ère, CTHS, Paris, 1998, pp. 9-32.
PEARCE (Mark), The italian Bronze age, 2004.
VITAL (Joël), Du néolithique au Bronze moyen dans le sud-est de la France : 220-1450 av. J.-C., CYPSELA, 2004, no15, pp. 11-38.