Les techniques du bronzier à l’âge du Bronze : méthodologie d’une lecture des états de surface d’objets de bronze à partir de l’étude du décor de bracelets du dépôt n° 2 de Saint-Priest Les Feuilly (Rhône)

Agathe GLUCHY (Docteur, Université de Bourgogne, UMR Artehis 6298)

Thèse soutenue en décembre 2013 à l’Université de Bourgogne, sous la direction de C. MORDANT (CNRS, ArTeHiS - UMR 6298).

Mots-clés : Bronze final, Dépôt, Objets métalliques, Métallurgie, Tribologie, Bronze, États de surface, Artisan, Savoir-Faire, Fonderie expérimentale, Est de la France.

Ce travail de doctorat propose une approche interdisciplinaire dont la clé est la surface, ou plutôt les états de surface, interface d’étude commune privilégiée des archéologues et des tribologues. Basé à la fois sur des considérations physico-chimiques du matériau bronze et sur des problématiques expérimentales de réalisations techniques d’objets, son but est avant tout de proposer des pistes d’ordre méthodologique pour l’étude des techniques d’ornementation des bijoux. Celles-ci ont été testées principalement à partir de bracelets ornés appartenant au dépôt n° 2 de Saint-Priest les Feuilly (Rhône), daté de l’étape moyenne du Bronze final.

Les stigmates qui sont visibles à la surface des objets étudiés constituent des marqueurs technologiques dont la lecture, c’est-à-dire l’identification et la compréhension, peut nous permettre d’appréhender la manière dont les objets ont été conçus : ils sont le reflet du savoir-faire des artisans-bronziers de l’âge du Bronze. Identifier et comprendre les stigmates de fabrication qui marquent la surface des objets constitue en quelque sorte une approche que l’on pourrait qualifier de « cognitive » : ici, les moyens et les mécanismes de compréhension du travail de l’artisan-bronzier, mais aussi de sa « personnalité », se basent sur les enregistrements, fossilisés dans la matière, de son « comportement technique » qui est pour ainsi dire inscrit, répertorié, à la surface des objets qu’il a conçus et réalisés. Cette approche est donc susceptible d’apporter une meilleure caractérisation du geste et du savoir-faire de l’artisan-bronzier.

Lecture macroscopique et tribologie

L’observation exploratoire et la « lecture » globales à échelle macroscopique de l’objet et des stigmates qu’il comporte, réalisées notamment à l’aide d’un microscope vidéo portatif, ont révélé tout leur intérêt. De nombreux indices et données quant aux techniques et méthodes de fabrication auxquelles ont eu recours les artisans ont pu être répertoriés (outils, positions, agencement du décor, ordre de mise en place).
La tribologie, science de l’usure et du frottement, constitue un outil pour l’archéologue qui doit être utilisé pour répondre à des problématiques bien précises, établies à la suite d’une première lecture de la surface. La méthode de l’analyse de la topographie des surfaces, une fois adaptée à l’analyse des surfaces « archéologiques », nous permet d’accéder à une lecture cette fois en trois dimensions et donc à un ensemble de données d’ordre quantitatif statistiquement exploitable. Cette approche complémentaire et innovante a notamment rendu possible la détermination de la technique mise en œuvre pour la réaliser des incisions décoratives, en l’occurrence celles du bracelet n° 375, ainsi que la comparaison objective de motifs décoratifs, ce qui nous a permis de mieux percevoir la variabilité qu’il existe au sein des techniques et du savoir-faire des artisans-bronziers.

Variabilité des gestes et des méthodes

Les clichés obtenus peuvent ainsi constituer le point de départ d’une banque d’images, référençant et identifiant les stigmates issus du travail de l’artisan-bronzier. Dans cette optique, les expérimentations jouent également leur rôle : chaque geste « reproduit », « expérimenté » peut être enregistré et répertorié. Il semble indispensable de persévérer dans l’expérimentation afin de mieux percevoir, non pas « la », mais « les » recettes des artisans-bronziers, qui nous font en grande partie défaut aujourd’hui. Cela concerne évidemment les matériaux employés : les cires, les matrices argileuses des moules, les alliages. Mais cela inclut bien sûr également une meilleure perception des outils employés, et plus particulièrement de leur mode d’utilisation, c’est-à-dire des gestes, des « tours de mains » des artisans.

En effet, il faut constamment garder à l’esprit l’extrême variabilité qui existe au sein des procédés mis en œuvre par les artisans-bronziers, ceux-ci étant liés aux compétences propres à chaque artisan, ce qui inclut son habileté, mais aussi l’apprentissage qu’il a suivi, ainsi qu’aux choix culturels qui vont conditionner ses décisions.

Les analyses auxquelles on a procédé ici sont certes très spécifiques et essentiellement concentrées sur un nombre restreint d’objets, en particulier des bracelets de type Pourrières appartenant ou non à des séries provenant d’un même dépôt. Cependant, elles peuvent permettre d’appréhender de manière plus large le travail du bronzier, en apportant des éléments nouveaux issus de méthodes d’investigation et d’approches techniques de la production renouvelées. À plus large échelle, celles-ci pourraient permettre de proposer un nouvel éclairage sur la conception et la réalisation des objets : travaux de pré-fonderie, fonderie, post-fonderie, avec un soin tout particulier pour l’étude des séries d’objets. On peut en effet considérer ces dernières comme des témoignages privilégiés de l’organisation du travail de l’artisan-bronzier, que ce soit d’un point de vue essentiellement technique ou par rapport à des considérations plus sociales : spécialisation des artisans, question du transfert de compétences, et, au-delà, mobilité des personnes et problématique du pouvoir social de l’artisan et de sa place dans la société.

Observer, examiner, questionner les objets qui nous sont parvenus et les stigmates qu’ils comportent constituent donc des moyens de dévoiler, de mieux percevoir la personnalité des artisans-bronziers, personnages complexes et omniprésents de l’âge du Bronze, qui demeurent encore trop peu connus.