Étude paléoalimentaire et isotopique des groupes humains de l’âge du Bronze : nouvelles perspectives sur le site de Barbuise et La Saulsotte (XIVe-XIIe s. av. J.-C., Aube, France)

Gwenaëlle GOUDE (Aix-Marseille Université, CNRS, MCC LAMPEA - UMR 7269), Léonie REY (Université de Bordeaux, PACEA - UMR 7269), Françoise TOULEMONDE (CNRS, MNHN - UMR 7209), Mathilde CERVEL (Ecole Pratique des Hautes Etudes, AOROC - UMR 8546), Stéphane ROTTIER (Université de Bordeaux, PACEA - UMR 7269)

Recherches en cours - Programme « Diversité biologique et culturelle de l’Homme, de la fin de la Préhistoire à la Protohistoire » (DHP - dir. S. ROTTIER ; Univ. Bordeaux 1, Lascarbx ; 2012/2014)

Mots-clés : Bronze moyen, Bronze final, Est de la France, Sud-est du bassin parisien, Funéraire, Alimentation, Isotopes stables, Millet.

Traditionnellement, l’étude des comportements alimentaires préhistoriques est abordée par les études menées sur les restes animaux et végétaux des sites et, si possible, par l’analyse pathologique et de l’état sanitaire des restes humains. Depuis une trentaine d’années, l’analyse du contenu chimique de ces restes, et en particulier des ratios isotopiques contenus dans les os et les dents, fournit des données uniques et complémentaires sur les modes de subsistance et permet de cibler différents moments de la vie d’un individu. L’application de cette méthodologie est maintenant courante en Préhistoire et sur les sites français, mais concernait jusqu’à présent beaucoup plus les périodes mésolithiques et néolithiques. L’âge du Bronze présente un grand intérêt pour ces travaux, notamment compte tenu de l’arrivée et de la diffusion du millet, céréale à photosynthèse de type C4 se différenciant isotopiquement des plantes antérieurement cultivées comme le blé ou l’orge. Dans le cadre du développement des recherches menées sur cette période, l’étude isotopique et paléoalimentaire des sujets du site de Barbuise (XIVe-XIIe s. av. J.-C., Aube, France) propose de documenter plusieurs aspects liés à l’alimentation des groupes humains, en particulier, les différences sociales entre des individus dont les attributs funéraires semblent se différencier, et le mode de consommation du millet à un moment où les études archéobotaniques attestent de son importance.

Les résultats carpologiques des sites localisés dans l’Aube mettent en évidence une consommation significative des millets (millet commun surtout), au plus tard à partir de la transition Bronze moyen/Bronze final (XIVe s. av. J.C.) et au moins jusqu’à la fin du premier âge du Fer. Plus d’une vingtaine d’occupations ont été étudiées pour ces périodes, et le millet commun y est presque systématiquement attesté, avec des indicateurs de fréquence et d’abondance élevés, notamment dans la vallée de la Seine, prés du site de Barbuise et La Saulsotte.

Les sépultures de Barbuise et La Saulsotte ont permis d’émettre un certain nombre de propositions quant aux dynamiques de peuplements du sud-est du Bassin parisien au début du Bronze final. Ces questions, comme le déplacement de certains hommes vers cette région, pourraient trouver des réponses dans la signature isotopique alimentaire, pour peu qu’elle diffère d’avec la région d’origine. L’arrivée concomitante d’une nouvelle possibilité alimentaire et de personnes, dont l’origine resterait à discuter, se devait donc d’être regardée de plus près.

Les ratios isotopiques du carbone et de l’azote ont été réalisés sur le collagène (d13C, d15N) et la bioapatite (d13Cap) des ossements et des racines dentaires (M2) de cinq femmes et trois hommes, permettant de cibler l’alimentation protéinique et globale au moment de l’enfance (ca. 6-14 ans) et des dernières années de la vie. Cinq animaux (cheval, porc et chien) ont également fait l’objet de ces analyses afin de déterminer la variation isotopique de l’environnement local. Une comparaison des données avec celles d’animaux et de sujets humains du Néolithique du même secteur géographique a également été effectuée afin de mieux détecter l’impact de la consommation des ressources de type C4. Les résultats isotopiques obtenus sur les échantillons humains bien conservés s’échelonnent de -19.7 ‰ à -17.3 ‰ pour le carbone et de 9.2 ‰ à 11.8 ‰ pour l’azote (n=12). Pour les animaux, les valeurs s’échelonnent de -22.3 ‰ à -19.0 ‰ pour le carbone et de 6.1 ‰ à 7.7 ‰ pour l’azote (n=4). Les ratios isotopiques du carbone des échantillons humains de bioapatite bien conservés (os et dent) s’échelonnent de -12.3 ‰ à -10.2 ‰ (n=8). Une différence statistiquement significative (p=0,00) du d13C est observée entre les animaux omnivores (chien et porc) et les chevaux ; les valeurs isotopiques des chevaux de l’âge du Bronze sont identiques à celles des autres herbivores néolithiques de la région et soulignent la fréquentation d’un environnement à végétation de type C3. Ces données indiquent que le chien et le porc de Barbuise ont consommé d’autres ressources, enrichies en 13C, et, outre les protéines composant le régime omnivore, le millet a probablement une place de choix. Les ratios isotopiques (C et N) du collagène des sujets humains de Barbuise se différencient globalement de ce que l’on connaît pour le Néolithique et soulignent une alimentation enrichie en céréales, au détriment de la viande. Ces résultats sont corroborés par ceux obtenus sur la bioapatite, indiquant une contribution du millet pouvant atteindre 30 % de l’alimentation globale. La comparaison intra-individuelle des résultats (dentine-os) a été plus difficile en raison du mauvais état de conservation de plusieurs échantillons. Toutefois, les quelques données obtenues (sur 5 individus) montrent des modifications alimentaires (eg. variation de la consommation de protéines animales et/ou de la quantité de millet consommés) pour certains sujets sans qu’une distinction soit faite entre les sujets considérés comme locaux et ceux non locaux d’après les critères archéologiques. Cette étude sur l’âge du Bronze est pionnière sur le territoire français et montre la nécessité d’une approche pluridisciplinaire et multi-proxies ainsi que l’importance des comparaisons diachroniques pour documenter l’histoire de l’évolution des modes de subsistance humains au cours de la Préhistoire.