Exploitation et utilisation des invertébrés marins durant la Protohistoire sur le territoire continental et littoral Manche-Atlantique français
Caroline MOUGNE (Docteur, Université Rennes 1, CReAAH – UMR 6566)
Thèse soutenue le 25 février 2015 à l’Université de Rennes I, devant un jury composé de J.-D. VIGNE, directeur de recherche au CNRS (président), D. E. BAR-YOSEF MAYER, Université de Tel-Aviv (rapporteur), P. MENIEL, directeur de recherche au CNRS (rapporteur), M.-Y. DAIRE, directeur de recherche au CNRS (examinateur), C. MORDANT, professeur émérite des universités (examinateur), J. GOMEZ DE SOTO, directeur de recherche émérite au CNRS (directeur de la thèse) et C. DUPONT, chargée de recherche au CNRS (codirectrice de la thèse).
Mots-clés : Protohistoire, âge du Bronze, âge du Fer, invertébrés marins, malacologie, coquillage, crustacé, alimentation, artisanat, parure, architecture, Ouest de la France.
Une thèse sur l’exploitation et l’utilisation des invertébrés marins (mollusques, crustacés et échinodermes) durant l’âge du Bronze et l’âge du Fer dans l’Ouest de la France a été soutenue en février 2015 (Mougne, 2015). L’objectif de ce travail était d’appréhender les relations qui unissaient les communautés protohistoriques du littoral Manche-Atlantique français. Les données obtenues s’appuient sur l’inventaire de 197 sites ayant livré des restes d’invertébrés marins et sur les études archéomalacologiques détaillées de 32 sites, dont 17 réalisées par nos soins.
Dans le cadre des problématiques développées dans cette recherche, plusieurs approches méthodologiques novatrices, voire inédites, ont été développées. La majorité porte sur la reconstitution de tailles originelles des invertébrés marins à partir de fragment afin d’acquérir des résultats sur les techniques de collecte et plus largement sur les pratiques économiques. Trois espèces ont fait l’objet de ce type de reconstitution, à savoir la moule commune Mytilus edulis, l’oursin violet Paracentrotus lividus et le crabe sillonné Xantho sp. Ces reconstitutions ont été réalisées à partir de fragments de coquilles pour la moule, des parties dures pour l’oursin et une zone de la pince pour le crabe. Les coefficients de corrélation avoisinent les 0,9 et permettent ainsi une reconstitution fiable. Ces méthodes ont ainsi contribué grandement à l’enrichissement et à la fiabilité des données ci-dessous exposées.
Les résultats obtenus concernent l’exploitation des milieux, les pratiques alimentaires, artisanales, architecturales, funéraires et cultuelles des populations protohistoriques concernées.
Les environnements littoraux exploités dans l’Ouest de la France durant l’âge du Bronze et l’âge du Fer sont essentiellement les milieux rocheux. Ce type de substrat a pu être choisi du fait d’une plus grande accessibilité des espèces qui y vivent, dans la mesure où ces dernières peuvent être repérées directement à la surface du rocher. L’exploitation du milieu sableux semble, quant à elle, fortement liée à des contextes funéraires et cultuels et à des utilisations singulières (parure et dépôt). La totalité des espèces consommées présentes sur les sites a pu être collectée à pied sec, en zone intertidale. L’environnement proche d’un site et les invertébrés marins disponibles localement ont probablement joué un rôle important dans les choix des espèces consommées, indiquant la pratique d’une collecte à pied réalisée dans les environs immédiats de l’habitat. Toutefois, le spectre des espèces découvertes sur les sites archéologiques révèle généralement une collecte sélective non représentative de l’ensemble de la variété disponible sur place, ce qui suggère des choix culturels.
En effet, l’étude des pratiques alimentaires a souligné des spécificités régionales. La Basse-Normandie, la Bretagne et le Poitou-Charentes se caractérisent ainsi par des assemblages malacologiques et un mode de sélection distincts. En Bretagne, la patelle Patella sp. est omniprésente (Mougne et al., 2014a ; Dupont et Mougne, 2015). Cependant, cette dernière est totalement absente de l’alimentation des habitants de la Basse-Normandie, qui consomment essentiellement des moules communes (Mougne et al., 2013, 2014b, 2015). Pour ce qui est du Poitou-Charentes, le spectre est différent selon les sites, même pour ceux de période identique. Il est à noter que les populations protohistoriques de cette région ne semblent pas s’être focalisées sur le ramassage d’une seule espèce, à l’inverse des régions plus septentrionales.
D’un point de vue diachronique, en Basse-Normandie et en Bretagne, les coquillages marins sélectionnés semblent identiques pendant l’âge du Bronze et l’âge du Fer. Inversement, en Poitou-Charentes, une évolution des pratiques alimentaires entre le Bronze ancien et La Tène finale est perceptible. En effet, si pendant l’ensemble de la Protohistoire la patelle et la scrobiculaire Scrobicularia plana sont consommées, la moule commune, l’huître plate Ostrea edulis et la palourde européenne Ruditapes decussatus n’intègrent le régime alimentaire des populations qu’à partir de la fin de l’âge du Fer (Mougne et Dupont, 2015).
À cette époque, un changement considérable se produit en Basse-Normandie et en Poitou-Charentes. Des coquillages marins frais sont importés dans l’arrière-pays pour y être consommés, et ce jusqu’à 120 km du littoral. La consommation des coquillages dans les terres pouvait, à en juger par leur rareté, être réservée à quelques individus ou groupes sociaux d’un rang élevé. Des réseaux d’échanges, voire un commerce des mollusques et plus largement des produits marins existaient probablement afin d’approvisionner ces sites continentaux.
Outre leur place dans l’alimentation, les invertébrés marins ont également joué un rôle dans plusieurs activités artisanales durant la Protohistoire :
- l’utilisation du pourpre dans des activités tinctoriales est attestée uniquement en Bretagne, et ce au moins dès l’âge du Fer voire dès l’âge du Bronze, ce qui est, dans les deux cas, une information nouvelle pour l’Ouest de la Gaule (Dupont, 2013). En effet, cette activité n’était attestée jusqu’à présent sur tout le territoire français qu’après la conquête romaine ;
- pour la parure, quatre espèces au moins de coquilles ont servi de matière première, à savoir le cyprée Trivia monacha, la littorine obtuse Littorina obtusata, le dentale Antalis sp. et la coque Cerastoderma sp. La collection étudiée se caractérise par son hétérogénéité, autant d’un point de vue géographique, chronologique, contextuel que morphologique. Une différenciation marquée entre les espèces réservées à la parure et celles destinées à la consommation est observable pendant la Protohistoire, constat déjà réalisé par C. Dupont pour le Mésolithique et le Néolithique (Dupont, 2006). Globalement, il semblerait qu’à l’âge du Bronze la coquille pour la confection de la parure soit remplacée progressivement par les métaux, matériaux plus résistants et permettant de créer des formes plus complexes ;
- les restes d’invertébrés marins et particulièrement les coquilles de mollusques sont parfois utilisés aussi comme matériaux de construction. Sur la façade atlantique française, le recyclage de coquilles en tant que matériaux de construction dans la construction des murs et pour l’épandage sur le sol concerne deux taxons, à savoir la patelle et l’huître plate. La réutilisation de ces deux espèces est due à leurs propriétés physico-chimiques : leurs coquilles résistent aux pressions mécaniques, drainent les flux d’eau et sont perméables, absorbant l’humidité ambiante, souvent importante en milieu côtier et insulaire. L’utilisation des coquilles dans les constructions est proportionnellement liée à l’importance de leur consommation.
Enfin, les invertébrés marins jouaient également un rôle non négligeable au sein des systèmes de pensée et de croyances des populations protohistoriques. Ils sont ainsi parfois repérés sous forme de dépôts votifs, d’offrandes alimentaires et de reliefs de repas rituels ou communautaires. Ils ont été déposés, voire mis en scène, dans au moins trois secteurs sur la façade française de la Manche et de l’Atlantique : en Plaine de Caen, sur les côtes bretonnes et en Charente-Maritime. Les espèces d’invertébrés marins intervenant dans les pratiques funéraires et cultuelles varient. Il s’agit le plus souvent de taxons consommés de manière régulière et faisant partie du régime alimentaire, comme la patelle en Bretagne ou la moule en Plaine de Caen. Les coquillages de la famille des cardiidés (coque et bucarde Acanthocardia sp.) semblent également sélectionnés pour les événements particuliers liés aux pratiques cultuelles en Plaine de Caen. Chaque contexte se caractérise par un assemblage spécifique, que ce soit au niveau des espèces choisies ou des objets associés. Il est ainsi difficile de différencier ces pratiques, qui correspondent à des manières de faire et de penser distinctes. Les sites étudiés sont également trop rares pour en déduire des généralités.
L’étude des restes coquilliers marins pendant la Protohistoire n’en est qu’à ses débuts, et les premières données obtenues sont prometteuses et innovantes. Les résultats soulignent ainsi les implications de ces animaux marins dans de nombreux domaines de la vie des communautés de l’âge du Bronze et l’âge du Fer et permettent d’aborder des thématiques inédites.
Références bibliographiques
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Mougne C., Exploitation et utilisation des invertébrés marins durant la Protohistoire sur le territoire continental et littoral Manche-Atlantique français, thèse de doctorat Archéologie-Archéométrie, Université de Rennes 1 (Rennes, 2015).
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