Monde funéraire de la fin du IIIe millénaire au milieu du IIe millénaire avant J.-C. de la façade nord de l’Espagne jusqu’au Sud-Ouest de la France : identités et espaces
Laure NONAT (Doctorante, Université de Pau et des Pays de l’Adour, Laboratoire ITEM, France ; Universidad de Santiago de Compostela, Departamento de Historia I, Espagne)
Thèse en cours, débutée en octobre 2011, sous la direction de François Réchin (UPPA) et Maria Pilar Prieto Martínez (USC).
Mots-clés : Âge du Bronze, Funéraire, Identité, Culture, Espace, Domaine atlantique, sud-ouest de la France.
Cette thèse s’intéresse aux manifestations funéraires et/ou cultuelles de la fin du IIIe millénaire au milieu du IIe millénaire avant J.-C., de la façade nord de l’Espagne jusqu’au Sud-Ouest de la France. Un angle d’approche particulier a été choisi : celui de l’identité et des espaces qu’elle délimite.
Nous tenterons d’apporter une vision à la fois synthétique de la documentation, afin de mettre en valeur un espace occidental européen encore mal connu dans la bibliographie spécialisée, et ce malgré un renouveau des données lié à l’essor de l’archéologie préventive ces dix dernières années, mais aussi souligner et donc promouvoir certaines régions particulièrement actives au sein du paysage socio-économique du domaine atlantique de l’âge du Bronze.
Pour chacun des territoires de cet espace, un panorama des différentes pratiques funéraires est établi. Les différents marqueurs, témoins de ces pratiques, sont analysés dans le but d’identifier et de dessiner les frontières des différentes cultures en présence. Il s’avère en effet que le domaine atlantique reflète, pour cette période, d’une dichotomie toujours notable entre deux espaces : l’un septentrional et l’autre méridional. Le second demeure largement sous-représenté par rapport au premier. Les synthèses dédiées à l’Europe occidentale n’abordent que sporadiquement les territoires du sud, lorsqu’ils ne sont pas éludés. Or, ces « vides » ne résultent pas d’une absence réelle de documentation, mais sont bien souvent la conséquence de déséquilibres dans les investigations régionales entre périodes chronologiques données. Certaines d’entre elles, protagonistes car mieux représentées dans le registre archéologique, constituent des masques pour les réalités généralement plus discrètes de l’âge du Bronze. De plus, les travaux universitaires privilégient actuellement les études microrégionales, encore peu reprises au sein d’approches synthétiques, pourtant indispensables à la compréhension et visibilité de ces territoires à large échelle.
Une mise en lumière de ces régions s’impose donc, à la fois pour distinguer les différents marqueurs à l’origine des individualités culturelles, mais aussi pour analyser leurs liens éventuels avec l’espace septentrional. Plusieurs cultures et complexes bien connus peuvent être cités pour cet espace septentrional, à savoir : le Wessex au sud de l’Angleterre, les Tumulus armoricains, ou encore le complexe Manche Mer du Nord (MMN). Mais, au-delà du grand Centre-Ouest de la France et de la culture des Duffaits, énumérer les entités culturelles du sud de cette région atlantique apparaît comme un exercice beaucoup plus difficile…
D’un point de vue méthodologique, ces recherches sont abordées selon une approche archéo-anthropologique en associant d’abord des concepts puisés de l’anthropologie culturelle (identité culturelle, interculturation, métissage, etc.) à des données ensuite strictement archéologiques et scientifiques, gérées grâce à différents outils techniques tels que le Système d’Information Géographique (S.I.G.) ou l’Analyse Factorielle de Correspondance (AFC).
Problématique : identités et espaces
Selon une approche anthropologique, nous partons du principe que les solutions funéraires résultent d’un ample processus d’enchevêtrement de facteurs, capables de nous renseigner sur les croyances, sur le monde idéologique et religieux des communautés de l’âge du Bronze. De fait, l’adoption d’un mode de sépulture, mais aussi le traitement du corps et les objets d’accompagnement du défunt résultent de codes bien précis, fixés soit par un individu à titre exceptionnel, ou bien par un groupe, une communauté ou une société, en guise de pratique. Cette pratique, parce qu’elle est récurrente, reflète l’union et l’adhésion d’individus à un même code. Mais c’est aussi parce qu’on s’y réfère qu’elle constitue et retranscrit une identité. Cette identité, loin d’être statique, se modifie et se construit au gré des changements et de leurs différents impacts, intégrations, au sein des communautés de l’âge du Bronze.
Ces transformations dans le monde des vivants impliquent une répercussion à différentes échelles sur celui des manifestations mortuaires, la conception de l’au-delà, la croyance et finalement sur l’identité à laquelle se réfèrent les communautés de l’âge du Bronze. Une identité, loin d’être statique, qui évolue sans cesse et constitue une entité dynamique, dans laquelle les pratiques peuvent se révéler à la fois mobiles (indice de la vitesse d’assimilation du changement) et immobiles (ancrage profond de rites ancestraux, refus d’intégration, etc.).
D’un point de vue archéologique et technique, la notion d’espace est intimement liée à celle de l’identité : les limites géographiques de celle-ci sont révélées par la répartition spatiale des éléments récurrents (ou marqueurs culturels) et singuliers. L’utilisation d’un S.I.G. permet ainsi d’interroger et de gérer l’ensemble de la documentation collectée. Il facilite la mise en évidence des caractéristiques spécifiques pour dessiner les frontières, souvent flexibles, d’identités dans un espace géographique donné. Ces frontières peuvent également dessiner des zones tampons, métissage de deux entités culturelles, parfois interconnectées.
Cadre géographique : deux échelles d’analyse
De l’extrême sud-ouest de la France au nord-ouest de la péninsule Ibérique en passant par la cordillère cantabrique, nous nous attacherons à aborder trois thèmes principaux : le temps (la chronologie), la forme (l’aspect culturel) et l’espace (la dimension spatiale des faits). Deux échelles d’analyse différentes sont considérées. La première est locale et repose sur un catalogue le plus exhaustif possible des données relatives à la Galice et aux Pyrénées nord-occidentales. La seconde est globale et s’attache, quant à elle, aux régions de la cordillère cantabrique à partir de gisements au contexte archéologique satisfaisant, sélectionnés à partir de critères établis au préalable (intervention récente par exemple, etc.). L’intérêt de combiner cette double échelle réside dans la multiplication des points de vue pour gagner en objectivité et ainsi éviter les excès et distorsions de l’une ou l’autre échelle d’analyse. Ainsi, l’échelle locale distingue et insiste sur les caractéristiques singulières de la documentation archéologique (spécificités) ; l’échelle globale inverse la tendance et laisse les caractéristiques dominantes prévaloir sur la singularité (généralités).
Il est donc question, dans le cadre de cette thèse, de générer un ample catalogue de données, encore inédit à cette échelle d’envergure, afin d’étayer la documentation du sud-ouest du domaine atlantique, pour l’heure insuffisante. Ce corpus permettra d’identifier, au sein de la diversité des solutions funéraires de cet espace, les récurrences qui déterminent l’identité à laquelle se réfèrent les communautés de la fin du IIIe millénaire à la moitié du IIe millénaire avant J.-C., mais aussi les singularités, sans lesquelles cette dernière ne pourrait s’affirmer.