Comment s’est modifiée l’alimentation en Italie à l’âge du Bronze ?
La contribution des isotopes stables pour la reconstruction des régimes alimentaires et des stratégies de subsistance
Alessandra VARALLI (Doctorante, Université Aix-Marseille, LaMPEA - UMR 7269 ; Università degli Studi di Firenze, Dipartimento di Biologia, Laboratorio di Antropologia)
Thèse en cours (2015), débutée en 2011 à l’Université Aix-Marseille, sous la direction de G. GOUDE (CNRS, LAMPEA - UMR 7269 et MMSH) et J. MOGGI CECCHI (Università degli Studi di Firenze, Laboratorio di Antropologia)
Mots-clés : Alimentation, Âge du Bronze, Italie, Funéraire, Isotopes stables C et N.
Ma recherche doctorale s’insère dans le cadre des études sur l’âge du Bronze en Italie. Cette période se caractérise par des changements, en termes de développements social, économique et culturel. En effet, cette époque met en avant de nouveaux métiers (ex. métallurgistes), réseaux commerciaux, pratiques agricoles et culturelles qui ont entrainé des modifications de traditions et de modes de vie.
Pour l’âge du Bronze, les informations concernant l’alimentation humaine et l’origine des ressources qui la composent sont rares en raison de la complexité d’accessibilité des données. Pourtant l’étude des habitudes alimentaires est un moyen d’identifier les facteurs sociaux et environnementaux responsables des décisions économiques des agriculteurs et des éleveurs. Un des moyens de reconstruire les pratiques de subsistance est l’analyse des données archéologiques, qu’elles soient organiques (restes archéozoologiques et paléobotaniques) ou issues de la culture matérielle. Cependant, ces données sont souvent influencées par des facteurs liés à l’état de conservation et aux choix des matériaux, tout en considérant les biais culturels impliqués dans la fabrication et la complexité des sites.
Pour étudier la nature et la complexité des régimes alimentaires dans les groupes humains de la Préhistoire, des méthodes spécifiques d’investigation ont été développées, telles que l’analyse des isotopes stables du carbone et d’azote du collagène (humain et animal) qui permet de reconstituer le régime alimentaire d’un individu sur les dix dernières années de sa vie. Cette méthode possède l’avantage de pouvoir étudier de manière « directe » l’alimentation d’un individu en particulier, et ainsi de passer outre les limites des méthodes telles que l’archéobotanique ou l’archéozoologie en ce qui concerne la reconstruction des régimes alimentaires passés qui ne permettent d’obtenir qu’une information dite indirecte renseignant sur les ressources présentes sur un site, mais pas sur celles réellement consommées par un individu.
Mon étude met donc en évidence l’évolution des habitudes alimentaires à travers les analyses d’isotopes stables (C, N, S) contenus dans le collagène des ossements d’humains et d’animaux provenant de communautés d’Italie du Nord, du Centre et du Sud pour une période allant de l’âge du Bronze jusqu’au début de l’âge du Fer (ca. 2300-900 av. J.-C.). L’utilisation de l’analyse des isotopes stables est particulièrement appropriée pour identifier les changements dans les stratégies de moyens de subsistance pour ces périodes clés qui n’ont pas encore pu être approchées dans toute leur complexité.
Les objectifs de cette recherche sont de tenter une première reconstruction des systèmes d’organisations sociales et d’échanges culturels des communautés, de définir les éventuels mouvements migratoires et de comprendre les caractéristiques environnementales des sites où les populations se sont établies, sur la base d’une approche diachronique et géographique. Les analyses effectuées jusqu’à présent indiquent que les choix alimentaires ne dépendent pas uniquement du type d’environnement dans lequel les populations sont installées, mais qu’ils sont aussi fortement influencés par les facteurs climatiques, sociaux et commerciaux. L’utilisation des isotopes de carbone est particulièrement utile dans cette recherche, car cela permet de révéler la consommation de plantes en utilisant différents processus photosynthétiques (C3 et C4), et de faire la distinction entre l’alimentation terrestre et marine. Les espèces de plantes C4 et les organismes marins sont, en effet, enrichis de 13C d’une façon très remarquable dans les os des consommateurs. Les résultats obtenus témoignent de régimes alimentaires plus variés dans le nord de l’Italie et d’une homogénéité de ressources consommées pendant l’âge du Bronze ancien et final. En revanche, concernant l’âge du Bronze moyen, on observe l’émergence de régimes alimentaires basés sur de nouvelles plantes, en particulier de type C4, comme le millet et le petit mil (Panicum miliaceum et Setaria italica). Dans ce contexte, cette période se présente comme un moment de rupture et de transition : l’introduction de nouvelles ressources alimentaires et la diffusion de nouvelles céréales contribuent aux échanges culturels et au dynamisme des rencontres qui ont caractérisé les premières communautés italiennes à l’âge du Bronze.